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Type de textesource
TitreSaggio sopra la pittura, saggio sopra l’Academia di Francia che è in Roma
AuteursAlgarotti, Francesco
Date de rédaction
Date de publication originale1756
Titre traduitEssai sur la peinture et sur l’Académie de France établie à Rome
Auteurs de la traductionPingeron, Jean-Claude
Date de traduction1769
Date d'édition moderne ou de réédition
Editeur moderne
Date de reprint

, « De l’importance du jugement du public », p. 189-191

Il est nécessaire qu’un peintre grave profondément dans sa mémoire, qu’il n’y a point de meilleur juge dans son art qu’un véritable amateur et le public éclairé[[Omnes enim tacito quodam sensu, sine ulla arte aut ratione, quae sunt in artibus ac rationibus recta ac prava dijudicant ; idque cum faciunt in picturis et in signis etc. Cic de Oratore Lib. III. N. L.

Mirabile est cum plurimum in faciendo intersit inter doctum et rudem, quam non multum differat in judicando. Ars enim cum a natura profecta sit, nisi natura moveat ac delectet, nihil sane egisse videtur. Id. Ibid. N. LI.]]. Malheur aux productions de l’art, dont toute la beauté n’est que pour les artistes, dit un grand homme qui marche à pas de géant dans la carrière des sciences[[3:Malheur aux productions de l’art dont toute la beauté n’est que pour les artistes. M. d’Alembert dans l’éloge de M. de Montesquieu.]]. Baldinucci raconte une histoire assez plaisante d’un peintre florentin. Un gentilhomme examinant le tableau de cet artiste, lui fit observer que la main d’une figure n’étoit point à sa place et qu’elle lui paroissoit tant soit peu estropiée. Le peintre prit son crayon et lui dit de la dessiner comme il vouloit qu’elle fût. Le gentilhomme lui dit alors, comment voulez-vous que je dessine cette main, suis-je de votre profession ? Le peintre qui l’attendoit là, lui répondit, puisque vous n’êtes pas du métier, pourquoi voulez-vous critiquer les ouvrages des maîtres de l’art[[3:Notice des peintres depuis Cimabué jusqu’à nos jours, cet ouvrage contient l’espace de trente ans depuis 1580 jsuqu’en 1610. Vie de Fabbrizio Boschi.]]? Comme s’il falloit dessiner une main comme le Pesarese pour sçavoir si les autres peintres l’auront estropié ou non dans leurs tableaux[[3:Cet avis de Donatelli à Philippe, tò del legno e fa’ tu, prends du bois et fais-en autant, ne peut pas s’appliquer également dans tous les cas, parce que l’autre pouvoit lui répondre, je ne sçais pas mieux faire, il est vrai, cependant je sçais distinguer que tu fais mal. On ne peut pas à propos de ce trait s’empêcher d’admirer un passage de Denys d’Halicarnasse dans le jugement qu’il porte sur l’histoire de Tucidide. Ce n’est pas, dit-il, parce que nous n’avons pas cette vivacité d’esprit et ce talent qui brillent dans les ouvrages de Tucidide et des autres écrivains fameux que nous devons être privés de cette sagacité qu’ils montrerent dans leurs jugemens. Il fut permis de prononcer sur les productions de l’Art où excellerent les Apelles, les Zeusis et les Protogênes sans avoir le mérite de ces grands peintres. Les artistes eurent également la liberté de dire leur sentiment sur les ouvrages de Phidias, de Policlete et de Myron quoiqu’ils fussent bien éloignés d’avoir leurs talens. Il arrive souvent qu’un homme borné juge aussi sainement qu’un homme d’esprit, des choses qui sont soumises aux sens. Carlo Dati postilla IV vie d’Apelle.]]. 

Un peintre Vénitien pensoit plus sagement quand un bon homme venoit dans sa chambre. IL lui demandoit ce qu’il pensoit du tableau qu’il avoit sur son chevalet ; si cet homme borné lui repondoit après avoir bien examiné le tableau, qu’il ne se connoissoit pas en peinture, cet aveu suffisoit pour qu’il effaçât son tableau et qu’il le refit de nouveau. Sans connoitre tous les détails de l’Art du Peintre, on peut voir si une figure est ensemble, si ses mouvemens sont naturels, ou si elle est lourde ou svelte, si les carnations sont fraiches, enfin si les figures sont bien drapées. On sentira pareillement si le tableau rend ce qu’il doit exprimer. Chacun peut porter son jugement sur la représentation des objets qu’il a continuellement sous les yeux sans entrer dans de grandes discussions. L’artiste qui est dans l’usage de placer ses figures, de les habiller et de les peindre de la maniere qu’il plait le plus, ne sera peut-être pas en état de juger aussi bien. Comme il acquiert une forte pratique de voir et d’opérer, il rapporte tout à certaines formes et blâme ceux qui s’en écartent. Le peintre se laisse quelquefois aveugler par l’envie et ne juge que d’après Paul Veronese ou le Guerchin, l’homme de lettres d’après Boccace ou d’Avanzati, il ne consulte plus le sentiment et la nature. Il n’en est pas de même de l’Amateur et du Public qui sont l’un et l’autre dégagés du préjugé des Ecoles[[3:Je ferois souvent plus d’etat de l’avis d’un homme de bon sens qui n’auroit jamais manié le pinceau, que de celui de la plûpart des peintres. Monsier de Piles Remarq. 50 sur le Poëme de Arte graphicâ de M. Du Fresnoy.]]. En effet ce Tarpa ne faisoit point de vers, cependant les livres de poésie ne pouvoient être placées dans la biblioteque d’Apollon Palatin sans avoir mérité son suffrage, ce n’est pas dans une assemblée d’Auteurs qu’il fut décidé que l’Opéra d’Armide, la Comédie du Misantrope et la Tragédie d’Atalie étoient les plus belles pièces du Théâtre François. […] Il n’y a pas long-tems que l’on s’est apperçu en France combien les Arts perdoient à être soumis à la tyrannie d’un Directeur. Son goût se remarquoit dans tous les ouvrages des jeunes gens, et l’Ecole Françoise en paroissoit infectée. Il est à présumer que cette raison fit prendre le parti d’exposer dans un sallon les ouvrages des Académiciens. C’est à la lumiere qui éclaire une grande place que l’on découvre tous les petits defauts, c’est-à-dire à la vue et au jugement du public. C’est à une pareille décision que les Phidias[[3:ἐπεὶ καὶ φειδίαν φάσιν ὄυτω ποιῆσαι etc. Lucian. de Imaginibus.]], les Appelles[[3:Idem (Apelles) perfecta opera proponebat pergula transeuntibus, atque post ipsam tabulam latens vitia, quae notarentur, auscultabat, vulgum diligentiorem iudicem quam se praeferens. C. Plin. Hist. Lib. XXV. Cap. X.]], les Tintorets et plusieurs autres soumettoient leurs ouvrages. La multitude séduite par la nouveauté s’égare quelquefois, j’en conviens, elle peut être trompée par les sophismes de quelques personnes en place, mais elle écoute bientôt un certain sentiment naturel et se rend à l’opinion et à l’autorité des esprits sains.

, « De la perspective », p. 36-37

Ceux qui voudroient faire croire que la perspective étoit une science absolument inconnue aux anciens peintres de la Grece montrent pareillement qu’ils n’ont aucune connoissance ou des idées bien superficielles de l’art de peindre. Ils s’appuyent sur ce que les regles de la perspective sont violées dans la plûpart des peintures antiques, comme si les défauts des artistes médiocres devoient faire douter du mérite de ceux qui ont excellé. Passons sur cette ignorance qui est trop révoltante par elle-même, pour qu’on la puisse croire fondée. Ne sait-on pas que Pamphile maître d’Appelle chef de l’école greque disoit positivement que la peinture ne pouvoit exister sans le secours de la géométrie[[3:Ipse (Pamphilus) Macedo natione, sed primus in pictura omnibus litteris eruditus, præcipue arithmetice, et geometrice, sine quibus negabat artem perfici posse.]]. On sait encore que les Anciens peignoient des perspectives sur les murs, comme cela se pratique encore aujourd’hui.[[3:[…] Vitruv. Liv. VII. Cap. V.]] [[4:suite : oiseaux de Claudius Pulcher]]

, p. 167

Le peintre qui veut mériter la plus brillante reputation doit s’attacher particulierement à l’expression ; elle est le terme et l’objet de son art comme Socrate le disoit à Parrhasius[[3:[1] Xenophon, traits mémorables de Socrate liv. III.]]. La poësie comparée à la peinture est muette quant à cette expression des sentimens qui tombent sous nos sens et que notre premier poëte (le Dante) appelle un langage visible.